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"J'apprends" Brigitte Giraud (Julliard 2005)

Exploitation en Lettres et en Histoire (Marion Merchat - Benoît Falaize)

- Exploitation en Lettres (Marion Merchat)

Niveau : Classe de première
Objet d'étude : Autobiographie; récit d'enfance

Problématiques de lecture:
. L'énonciation, le temps du récit
. autobiographie? Autofiction?
. Histoire personnelle/collective : le statut de la mémoire.
. Ecriture fragmentaire

Lectures parallèles :
- Georges Perec, Je me souviens ; W, ou le souvenir d'enfance.
- Art Spiegelman, Maus.

J'apprends est, ainsi que l'annonce le titre, un récit en « je », miroitant de reflets autobiographiques – la narratrice personnage empruntant à l'auteur date et lieu de naissance: Alger, 1960)- sans toutefois en revendiquer clairement le statut. Aussi l'ouvrage s'inscrit-il, selon le souhait de son auteur sur la page de garde, dans la catégorie vaste et fictionnelle du « roman ». Cependant, dès les premiers mots, la magie du « je » opère sur le lecteur, lequel ne manque pas de vouloir remplir cette identité anonyme de la première personne.
La lecture de commencer en ces termes: « J'apprends à lire »; or se pose immédiatement l'épineux problème de l'énonciation, jamais vraiment levé dans l'oeuvre, où le « je » lisant et le « je » contant se confondent; à travers le partage de souvenirs communs (tableaux familiaux, événements d'enfant...); tout autant qu'ils se dissocient. Car très vite, le narrateur-personnage distillera dans le flot de ses souvenirs des traces d'extranéité, se marginalisant presque douloureusement et malgré soi du lecteur. Ainsi, le « je » anonyme, finit-il par répondre au prénom de Nadia, laquelle se caractérise par une absence maternelle douloureuse et taboue; une grande soeur frappée par un mal-être également tu; s'inscrit dans une identité métisse d'origine algérienne; et souffre enfin d'une absence d'histoire personnelle, originelle : le seul élément non appris par l'enfant, en quête de son lien.
« J'apprends à lire », lance fièrement le narrateur-personnage dès l'incipit. Or, l'identité qui apprend à lire tout au long de ce récit semble être, avec l'enfant, le lecteur, lequel apprend à lire, à travers l'histoire personnelle d'une jeune fille, celle d'une communauté proche, celle de son pays, son histoire refoulée, soigneusement enfouie dans la Zone d'Urbanisation Prioritaire. Apprendre à lire donc, comme l'on apprendrait à écouter l'autre, à le considérer jusque dans les manques de son récit personnel, lorsque le revêtement du souvenir anodin baille, pour laisser apparaître un fragment de peau à nu, une douleur tue à force d'être vive, à force de se vouloir oubliée, de ne pas être parlée, à force.
« J'apprends à lire » l'histoire personnelle, à la dissocier aussi d'une histoire collective que j'apprends, et Nadia d'apprendre à se dire dans un monde « où l'on ne peut pas tout dire », à se demander malgré la présence muselante des adultes, pour accoucher finalement des deux questions fondamentales qui brûlent sa plume depuis les premières pages du récit, pierres angulaires de la construction de son identité (personnelle et historique) : « je demande à ma soeur si elle se souvient de l'Algérie », « je demande à ma soeur si elle se souvient de maman ».
« J'apprends », cette anaphore structurante de l'oeuvre finit donc par faire sens, et sa répétition lancinante de sonner comme un appel d'enfant, régulier, obstiné : je veux savoir, je veux apprendre, je veux comprendre pour mieux maîtriser le monde dans lequel je veux m'inscrire. Face à ces signaux, le lecteur apprend presque malgré lui à connaître l'autre dans ce qui fait ses souvenirs, à le comprendre dans l'univers où il s'est construit, pour mieux maîtriser le monde dans lequel il s'inscrit. Un peu comme on découvrirait un ami en feuilletant l'album photo de la famille. Ainsi, c'est à la faveur d'une pédagogie discrète de l'auteur, servie par une écriture fragmentaire, lente et répétitive, que Brigitte Giraud dispose patiemment les jalons de son projet. Par conséquent, le lecteur est au travail dans l'oeuvre, le lecteur est en travail, il pousse à la naissance d'un lien entre l'autre et soi, à une fraternité entre celui qui semble un étranger et moi, entre l'Algérie et la France. Aussi, lorsqu'à la clôture de l'oeuvre Nadia et sa soeur, métaphoriquement suspendues dans le vide sur le « machin vert », finissent par amorcer un échange en dehors du temps, les dernières lignes prennent alors la teneur apaisante d'une rencontre possible et vécue, laquelle nous donne, en définitive le goût de nous apprendre.

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Exploitation en histoire (Benoit Falaize)

Niveau :
Classes de 3ème, classe de terminales

Objet d’études :
. mémoires de la guerre d’Algérie
. histoire de l’immigration
. développement urbain et crise économique et sociale des années 70

L’ouvrage de Brigitte Girault, en complémentarité avec le cours de Français, a l’intérêt pour le cours d’histoire, de présenter, écrit à la première personne du singulier, une histoire collective, où s’entremêlent, en creux, sans que jamais ne soit évoqués directement tant l’Algérie, que les rapports multiformes autant qu’intimes de la France et de son ancienne colonie.
A la fois par l’intermédiaire de la narratrice, née en Algérie, dont le père est revenu, mais aussi l’installation en banlieue nord de l’agglomération lyonnaise, de populations la plupart issue de courant migratoire représentatives des trente glorieuses, à savoir les pieds-noirs, les déracinés du monde rural et les populations immigrés de l’espace post-colonial.
Pour Brigitte Girault, il s’agit de dire l’Algérie absente (comme la mère) sans jamais l’évoquer, répondant en cela au silence du père. L’histoire est omniprésente dans le livre, sans qu’elle ne soit jamais évoquée. Elle est la trame de fond d’une enfance en banlieue lyonnaise, l’horizon absent d’un passé qui se dérobe. Elle est non-dite, cachée, lieue évidente de souffrances. Elle est à l’origine des questions de la narratrice face aux propos racistes entendus dans les cages d’escalier, comme dans le nom des camarades de classe. C’est l’histoire par l’intime, la mémoire du déracinement, privé de mémoire précise et de mots pour la dire.
Dans les interrogations actuelles sur la place à faire à un enseignement du fait migratoire en histoire, face aux questions des élèves sur le passé colonial de la France et l’immigration sur le territoire national, largement composée de descendants de travailleurs nord-africains, le livre de Brigitte Girault offre une entrée singulière dans l’histoire collective.
Le livre est aussi une manière de réfléchir avec les élèves sur l’histoire vécue par d’autres enfants, de périodes historiques troublée par des enjeux de mémoire. Ici, la guerre d’Algérie est omniprésente, mais elle est en toile de fond incompréhensible pour une enfant de l’école primaire. Enfin, il offre une ébauche de sociologie, comme les ouvrages d’Annie Ernaux, sur la société de l’après trente glorieuses.
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