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Fiche sur l'identité française en Algérie.

Mise au point sur l'une des sources de l'ambiguïté coloniale : l'identité des Français en Algérie. Par Valérie Morin.


Qu’est-ce qu’être français en Algérie ? L’ambiguïté coloniale


Un siècle d’immigration européenne


La domination française sur le territoire algérien remonte à 1830. Rapidement, s’affiche la volonté d’en faire une colonie de peuplement. Le général Bugeaud, héros de la conquête, affirmait que l’on tiendrait l’Algérie par « le sabre et la charrue ». Il encourage donc la colonisation de peuplement et la mise en valeur des terres, politique qui est continuée par la Seconde République. Les chômeurs des ateliers nationaux sont incités à émigrer en terre africaine. Tout au long du 19ème siècle, l’Algérie devient un refuge pour les cadets de famille en rupture de ban, pour les aventuriers, mais aussi pour les Alsaciens-Lorrains qui ont refusé la domination allemande (5000 environ sur 125 000 ayant choisi la France). L’espoir est alors de faire de l’Algérie une terre française « par le sang ».
Cet espoir est, cependant, vite déçu puisque la France, seul pays malthusien d’Europe au 19ème siècle, est incapable d’exporter massivement ses enfants pour peupler cet immense territoire. A cette faible natalité, s’ajoute l’incapacité de la plupart des nouveaux arrivants de s’installer durablement sur les terres. La petite colonisation foncière est vite un échec et la majorité des Français se regroupe en ville (60% en 1871, 80% en 1954).
L’accroissement important de la population européenne de l’Algérie est surtout due à l’immigration de méditerranéens : Espagnols, Italiens, Maltais, Mahonnais. Cette masse étrangère est momentanément devenue un danger pour les Français puisque les étrangers les égalaient presque en nombre (parfois même majoritaire comme les Espagnols en Oranie). Ce problème est résolu grâce aux lois de naturalisation de 1889 qui donnent automatiquement la nationalité française à tous les fils d’étrangers nés en Algérie.

Etre Français : des statuts différents


Au début du XXème siècle, la qualité de Français englobe des statuts bien différents :

Les Français « européens » d’Algérie possèdent la plupart des pouvoirs politiques et économiques grâce à leur appartenance à la citoyenneté du pays dominant. Ils contrôlent par leurs votes les municipalités d’Algérie et élisent des députés à l’Assemblée Nationale. Ils sont, à ce titre, des colonisateurs. Cette situation privilégiée cache pourtant des situations sociales très différentes. Les niveaux de vie sont plus marqués qu’en métropole et les cloisons sociales plus difficiles à franchir. La société coloniale est une société figée socialement, géographiquement et « racialement» (pas d’échanges matrimoniaux entre communautés).
  • Les Juifs d’Algérie (140 000 en 1954), sont eux aussi citoyens français depuis 1870 (décret Crémieux). Ils restent pourtant marginalisés. Ils forment une population intermédiaire à la fois orientale et en voie d’occidentalisation par l’école (Albert Memmi).
  • Les « musulmans » ainsi appelés – dénomination qui englobe arabes et kabyles- sont aussi français depuis 1863. Mais ils sont sujets français, statut qui dissocie nationalité et citoyenneté. Celle-ci est, en effet, déterminée par l’abandon du statut personnel musulman (lois coutumières liées aux pratiques religieuses telles la polygamie). Ils sont donc administrativement et politiquement inférieurs aux autres français et sont soumis au Code de l’indigénat, sorte de justice expéditive et arbitraire.
  • A partir de 1947, la loi Lamine-Gueye (1946) qui accorde la nationalité française (et la citoyenneté) à tous les sujets de l’Empire, est appliquée en Algérie. Le statut de 1947 supprime le Code de l’indigénat mais légitime une nouvelle inégalité. Si tous les habitants de l’Algérie sont désormais citoyens, ils votent dans deux collèges différents :
  • Ceux du Premier collège (les Français non musulmans et quelques dizaines de milliers de musulmans « évolués ») représentent environ un million de personnes et élisent 50% des représentants de l’Algérie.
  • Ceux du Deuxième collège (tous les autres) représentent  environ neuf millions de personnes et élisent les autres 50%. Leurs voix comptent donc neuf fois moins que celles du Premier collège. La situation coloniale est bien maintenue par une inégalité politique flagrante renforcée par un trucage massif des élections et la volonté des autorités coloniales de réduire au silence toutes les formations « musulmanes » trop contestaires.

L’égalité accordée alors qu’elle n’est plus désirée


En 1958, tous les habitants de l’Algérie deviennent Français à part entière, bien trop tard pour arrêter le conflit.
  • Les musulmans ont pourtant dû, lors de leur rapatriement en France, refaire le choix de la nationalité française, ce qui n’a jamais été demandé aux autres Français non musulmans.
  • Les Français d’Algérie, « rapatriés » en métropole en 1962, ne revenaient pas, pour la plupart, dans leur patrie. Population largement « indigène » à plus de 80% - certaines familles étaient installées en Algérie depuis 4 générations et encore plus pour les juifs ! – elle connaissait mal, voire pas du tout la France. C’est donc bien une population française par sa culture et ses valeurs, mais marquée par l’univers colonial et par les nombreux mélanges méditerranéens dont elle est issue.

Bibliographie sommaire :

Albert Memmi, Portrait du colonisé, précédé de Portrait du colonisateur. Paris : Gallimard, 1985 (réédition)
Albert Memmi, La statue de sel. Paris :Gallimard, 1966. (pour ce qui concerne la population juive)
Pierre Nora, Les Français d’Algérie. Paris : Julliard,  1961, (pamphlet vindicatif, écrit « à chaud »)
Jeannine Verdès-Leroux, Les Français d’Algérie. Fayard, 2001 (ouvrage basé sur des entretiens de pieds-noirs : complaisant)
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