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Mémorial d'Izieu

Pierre-Jérôme Biscarat rapporte le fruit de son expérience au Mémorial d'Izieu, en tant que responsable pédagogique, les succès et les écueils d'une visite d'un lieu de mémoire consacré à la Shoah. Entretien réalisé par Jean-François Bossy.



Introduction

Le Mémorial d'Izieu est un des lieux importants de la mémoire de la Shoah en France. A la maison d'Izieu trouvèrent refuge pendant la guerre 44 enfants venus de toute l'Europe sous la pression des persécutions dont furent victimes leurs familles et parents. Ils furent arrêtés sur ordre de Klaus Barbie le 6 avril 1944, puis déportés et gazés à Auschwitz-Birkenau. Une seule personne put s'échapper. 42 enfants et 5 adultes seront gazés dès leur arrivée à Auschwitz.

Un mémorial s'est constitué au lendemain du procès Barbie, en 1987, inauguré par François Mitterrand, alors président de la République.

Le Mémorial accueille aujourd'hui un public annuel de quelques 10 000 élèves.

Pierre-Jerôme Biscarat y est chargé des activités pédagogiques et de l'accueil des publics scolaires. Nous l'avons interrogé sur sa pratique d'animateur, sur son expérience de l'éducation à la mémoire de la Shoah.

Pour toutes informations complémentaires, nous renvoyons au site Internet du mémorial : http://www.izieu.alma.fr


 Comment en êtes-vous venu à occuper la fonction qui est la vôtre au Mémorial d'Izieu ?


Je considère que je fais partie de la génération du procès Barbie (1987). J'étais, à l'époque de cet événement considérable, élève au lycée V. D'Indy, en Ardèche. Notre professeur d'histoire-géographie nous a parlé de l'événement toute l'année. Les comptes-rendus du procès eurent lieu entre avril et juillet. Cette période fut donc celle d'une nouvelle mémoire émergente, celle de la déportation, en rupture avec le mythe résistantialiste qui avait prévalu depuis la fin de la guerre. Ce fut également l'époque de la percée du Front national, et celle de la diffusion du film de Claude Lanzmann : Shoah.

Il y eut ensuite mes études d'Histoire à l'université de Lyon III où sévissaient certains professeurs d'extrême-droite. Ma maîtrise pourtant ne portait pas sur des sujets afférents à la deuxième guerre mondiale, mais sur l'idéologie impériale de Marc-Aurèle à travers les pièces de monnaie. Mais déjà je m'étais engagé dans une association nommée Hippocampe, destinée à lutter contre l'extrême-droite au sein de l'Université.

Ma vocation d'enseignant s'affirmait parallèlement, mais elle ne débouchera pas sur une activité d'enseignement classique. Car entre-temps, j'avais eu l'occasion d'un premier contact avec le Mémorial d'Izieu lors de son inauguration officielle en 1994, et d'une première rencontre avec Geneviève Erramuzpé, son actuelle directrice. J'avais également fait un voyage à Auschwitz avec d'autres étudiants, pour assister à des conférences. Tout ceci aboutira à mon intégration à l'équipe du Mémorial d'Izieu.


Quelle est la spécificité institutionnelle de la maison d'Izieu ?


Ce n'est pas un musée, car nous ne disposons pas d'une collection, et n'avons donc pas de fonction de conservation. C'est donc un Mémorial. L'association est privée, mais 80% des subventions proviennent du public.

Le site est un peu isolé : il est à 1h15 de Grenoble, 1 heure de Lyon, et 3h15 de Chambéry. Cet isolement permet de se couper d'un trop vaste public : ne viennent au Mémorial que des personnes motivées, et qui, pour la plupart, ont préparé leur venue. On fait en sorte, pour les publics scolaires, qu'ils viennent avec une solide préparation et des connaissances historiques.


Comment se définit votre fonction au Mémorial ?


Je suis animateur pédagogique, je fais l'accueil des groupes scolaires, élabore des ateliers pédagogiques et des projets pédagogiques.


Comment s'articule votre fonction avec celle des enseignants ?


Il s'agit pour moi de définir des thèmes et des ateliers avec mes coéquipiers du Mémorial. Les enseignants n'interviennent pas dans les ateliers : il s'agit d'élaborer une expérience extra-scolaire pour les élèves, de leur apporter une parole extérieure à celle de l'institution scolaire et de leur professeur.


Quelles sont vos principales préoccupations lors de l'arrivée d'un public scolaire sur le site ?
  • Un moment décisif est celui de l'accueil des élèves devant la fameuse photo de l'été 43 qui rassemble les enfants de la colonie d'Izieu et leurs éducateurs : le décor est planté, celui d'une colonie ordinaire, avec des enfants qui leur ressemblent, et des éducateurs qui pourraient aussi bien-être les leurs.

 Mon intervention alors dépend un peu de la demande des enseignants. Le plus souvent je rappelle des éléments de l'histoire de la Shoah c'est-à-dire l'idéologie nazie de l'extermination, avec les chiffres pour la France et l'Europe, mais aussi le processus de la Collaboration et les camps d'internement français par lesquels sont passés les enfants, la création de la colonie d'Izieu. Je montre comment l'histoire éclaire le présent et nous ramène là où nous sommes : devant cette photo, sur les lieux mêmes.

 Parfois, l'enseignant me demande d'insister sur les réseaux d'entraide qui ont agi pendant la guerre : organisations caritatives suisses ou américaines notamment qui oeuvraient dans les camps d'internement.

  • Mon deuxième souci est que les élèves perçoivent bien qu'ils sont dans un lieu de mémoire : il s'agit pour eux de ressentir, de revivre un peu dans l'univers de la colonie en rentrant dans la maison.
  • Mon troisième souci est de leur faire comprendre que ce lieu de mémoire est aussi un lieu chargé d'histoire, et c'est pourquoi je m'efforce toujours de replacer le vécu de la colonie dans le cadre du contexte historique plus large qui est celui de la France occupée.
  • Vient ensuite le moment des questions et du débat.
  • L'après-midi est consacrée aux ateliers.

Qu'est-ce qui marche bien dans cet accueil et dans cette prise en charge des élèves ?


La maison elle-même est un protagoniste important de la réussite de la visite. Elle permet aux enfants de s'identifier avec les anciens habitants de ces lieux qui ont aussi été des enfants. Le lieu n'a pas bougé, ce sont les mêmes bâtiments qu'en 1943, et le paysage est le même. La " Grange d'histoire " quant à elle, ressemble à leur manuel.

 Les lettres ou les dessins qu'ils peuvent consulter ont également un grand impact sur les élèves : on a l'impression qu'elles ont été écrites trois semaines avant, alors qu'elles ont 60 ans.

 Une anecdote également, fait en général une forte impression sur eux : celle de cet infirmier (Léon Reifman) de la colonie qui le jour de la rafle des enfants a sauté par l'une des fenêtres du bâtiment pour se cacher dans un buisson. On monte en général dans la chambre pour voir cette fenêtre et apprécier la hauteur … On explique alors que c'est le seul rescapé de cette rafle. Cette anecdote permet d'aller plus loin : un soldat allemand a fait le tour de la maison, l'a vu et n'a rien dit. Ceci permet de comprendre que les hommes ne sont pas intrinsèquement mauvais. De même, lors de la visite du grenier, les jeunes peuvent observer des photos d'adolescents collées au mur, un peu comme celles que certainement ils ont dans leurs chambres. Ces photos témoignent des histoires d'amour et d'amitié. Il y a des graffitis amoureux. Beaucoup de réticences tombent à ce moment-là : ils sont dans leur univers, ils sont prêts à aller beaucoup plus loin dans leur " enquête ".


Comment fonctionnent les ateliers, l'après-midi ?


Il y en a de trois sortes :

       
1/ Les ateliers d'histoire.

Les élèves aiment analyser des documents historiques, les avoir dans les mains, les manipuler. On a par exemple un rapport du service social d'aide aux étrangers portant sur la maison d'Izieu, daté de février 44. Il témoigne, dans le détail, sur la Maison (le nombre de lits, d'enfants, de couvertures). Une réflexion est menée à partir de la date de ce document : février 43, c'est quelques mois seulement avant la rafle. A t-il servi de pièce aux Allemands ?

On a aussi le procès verbal de l'instruction du procès Barbie. (Pour chaque témoin, un procès-verbal)

 Nous avons aussi des photos, souvent des photos prises par les enfants d'alors et que nos jeunes pourraient avoir pris eux-mêmes (photo d'une chambre d'ado, photo de l'extérieur etc.)

On s'aperçoit alors que les jeunes de 14-15 ans ont le goût de l'archive, qu'ils aiment bien avoir sous les yeux des documents d'époque.

   
2/ Les ateliers d'éducation civique.

Ce sont des ateliers plus difficiles. Un s'agit d'un travail sur des concepts tels que ceux de tolérance, de respect, à partir de textes.

      
3/ Les ateliers de français.

A/ Les ateliers de lecture.

Il s'agit écouter des poèmes en prose sur Izieu lus par Rolande Causse (cassette). Après l'écoute du texte, une partie du texte est à lire par chacun pendant une à deux minutes. Je fais ensuite un commentaire historique.

Cet exercice permet de s'approprier cette histoire, car ils peuvent identifier dans le texte des termes et des lieux que désormais ils connaissent (la Gestapo, la Wehrmacht, la Maison, le balcon, la salle des petits déjeuners etc.) Des questions alors surgissent plus facilement.


B/ Ateliers d'écriture.

On entraîne les jeunes à écrire quelque chose sur Izieu en se mettant à la place des enfants disparus. (" Je me souviens d'Izieu… j'étais à Izieu … ")

Parfois on fait un pont avec les préoccupations d'éducation civique.

Parfois on organise des ateliers encadrés par des écrivains.


Quels sont les écueils à éviter lors de ces visites ?


Le premier écueil à éviter est celui d'un groupe qui n'aurait pas été préalablement préparé à sa venue à Izieu. Lorsque les élèves découvrent l'histoire de la Shoah à Izieu, ils se demandent ce qu'ils font là, ils ne peuvent saisir l'intérêt et l'importance de ce lieu.

Le deuxième écueil à éviter est celui d'une intervention excessive du professeur. Si le groupe est attentif, mieux vaut que l'enseignant reste en retrait. (Ou simplement pour dire de temps en temps que telle chose a été vue en classe). Par contre, si le groupe traîne les pieds, le professeur peut jouer un rôle de locomotive. Mais d'une manière générale, les enseignants qui se mettent à poser eux-mêmes des questions démobilisent les élèves.

Un troisième écueil à éviter est de laisser les élèves entrer dans un processus de fascination pour l'horreur (Comment sont-ils morts ? Combien ? En combien de temps ? Ont-ils souffert ?). En général, il faut stopper ce genre de questionnements infinis. Rentrer dans le détail n'apporte rien.


Globalement, l'expérience est une réussite lorsque les enseignants ont fait un travail préalable important.


A quels types de public avez-vous affaire ?

Ce sont tous types de publics. Sur 10 000 élèves par an que nous accueillons, il y a environ 200 élèves des Ecoles communautaires juives. Parfois, il arrive que des réflexions racistes fusent contre les Arabes (" Eux, ils ne veulent pas s'intégrer… ")


Le public maghrébin développe aussi parfois des réticences. On a senti des évolutions depuis le début de la 2e Intifada et pendant la guerre en Irak. Les visages se ferment et se crispent lorsqu'il est fait allusion au discours antisémite.

Le passage par la Maison, et le retour sur cette expérience universelle qu'est celle de l'enfance font en général tomber cela.

J'explique d'autre part qu'il y a trois familles originaires de l'Algérie qui ont perdu leurs enfants ici. J'explique aussi les frictions entre les juifs sépharades et les juifs ashkénazes qui soulignent que les premiers n'ont pas vécu la Shoah.

Le reproche qui revient souvent sur les juifs est celui de reproduire sur les Arabes le malheur qu'ils ont enduré. J'essaye d'expliquer que le statut de victime ne préserve pas de parfois faire le mal à son tour, mais je prends un exemple dans un contexte qui leur est plus familier : en octobre 1988, les hommes au pouvoir en Algérie ont bien ordonné de tirer sur la jeunesse du pays. C'étaient pourtant les mêmes qui avaient lutté dans leur jeunesse pour l'indépendance de leur pays contre l'oppression des colonisateurs.

Je conclue toujours en rappelant qu'un homme égale un homme.

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